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Bertil Shulrabe Drummer and Percussionist of Montreal
   
 

Impression / Expression

     Une chose que j’entends souvent, provenant des étudiants ou de musiciens avec qui je travaille, c’est qu’ils trouvent difficile, musicalement parlant,  d’être satisfaits d’eux-mêmes. Rien n’est acquis et il y a toujours des aspects manquants à intégrer. Il peut être frustrant de voir si clairement nos faiblesses dans le domaine qui nous passionne le plus, dans notre travail, sur ce chemin qui n’a pas de fin. Une solution doit être trouvée afin de faire la paix avec cet aspect.

     J’ai découvert quelque chose qui m’a aidé à faire face à cette insatisfaction. Ça se résume ainsi :
 Il y a un temps pour « imprimer » des éléments (dans la mémoire, dans le corps, au niveau du ressenti) et un temps pour « exprimer » des choses (idées, mouvements, émotions).

    Un principe est que, durant l’expression des choses, il faut laisser à l’écart la conscience des faiblesses découvertes et travaillées durant la période de temps allouée à l’impression.  Cet état psychologique doit être atteint afin de laisser la partie « expression » la plus intacte possible. Des choses constructives peuvent ressortir dans le fait d’être insatisfait, mais à certains moments on doit laisser cette insatisfaction de côté. J’ai dû apprendre à faire la différence entre ces deux éléments et les laisser jouer leur rôle SÉPARÉMENT dans le processus général.

    Par exemple, lors d’un concert ou lorsque j’accompagne des classes de danse, je dois exprimer quelque chose qui a déjà été « imprimé », qui est devenu assez solide pour être exprimé . C’est un temps pour partager une énergie spécifique, pour apprécier la beauté de la musique, la ressentir, de créer un rythme dansant et agréable. Ce n’est pas le temps d’essayer différentes idées qui pourraient briser le flot de la musique, de la danse. Lorsque cette motion constante et fluide est établie, la musique respectée, des éléments de surprise peuvent survenir, mais jamais au détriment d’une musique de qualité.

    En lien avec ce dernier exemple, j’aimerais poursuivre en mentionnant que l’aspect « impression » se nourrit souvent d’observations faites en rapport avec les derniers moments d’expression. Vous vouliez exprimer quelque chose, mais vous avez dû le laisser de côté, car l’exprimer prématurément aurait risqué de briser le flot de la musique à cet instant précis. C’est durant l’impression, qu’ il est temps de travailler, d’élaborer, de corriger ses faiblesses. Avec le temps, ces éléments ressortiront d’une manière très naturelle lors de la prochaine occasion d’exprimer.

         Depuis des années, j’alloue régulièrement du temps seulement pour « imprimer » des choses en moi. Cette partie doit être planifiée et approchée de manière paisible. Donner du temps régulièrement à cet aspect me fait apprécier sa valeur. Durant cette période, il est permis d’essayer du nouveau matériel, de faire des recherches pour trouver des solutions à des problèmes spécifiques. De plus, psychologiquement parlant, il n’y a pas de raison de se sentir frustré lors de ces moments, car ce temps existe justement pour travailler sur des choses nouvelles, inconnues jusqu’à présent. Je sens que c’est lors de ces moments que la passion de faire de la musique grandit, car je peux percevoir de plus en plus sa beauté, sa logique, mais aussi je réalise qu’il y a tant d’autres choses à découvrir. Il n’y a pas de fin, mais pourquoi ne pas continuer avec ce que l’on a, ce que l’on ressent,  et peu à peu y ajouter de nouveaux éléments.

           Une autre chose est, qu’après une pratique personnelle, je sens souvent que je n’ai pas couvert assez de matériel. J’ai dû accepter qu’imprimer quelque chose de nouveau demande du temps. Lorsque je suis allé aux Indes étudier le tabla, il n’était pas rare que j’aie à passer une heure complète, à répéter sans arrêt la même phrase rythmique afin de retrouver sa juste intention.  Allouer du temps à une nouvelle composition me fait apprécier sa richesse, me fait prendre conscience des différents muscles impliqués, me fait voir plus clairement sa structure. Ceci ne se produirait pas si je n’allouais que quelques minutes au nouveau matériel et tout de suite passerait à quelque chose d’autre. Je suis très reconnaissant envers ce professeur qui m’a enseigné cette façon d’apprendre et de pratiquer.

           Selon moi, une pratique personnelle idéale est constituée de trois éléments : -Travailler sur de nouvelles techniques et de nouveaux concepts, -Faire une révision du matériel récemment appris et
 -Élaborer et improviser sur quelque chose qui est devenu naturel. En d’autres mots : -Commencer à « imprimer » quelque chose de nouveau, -Poursuivre la pratique de choses qui ont déjà été approchées (en processus  d’être « imprimées »), -« Exprimer » et Élaborer sur des sujets qui ont déjà été « imprimés » (grâce à des idées spontanées,  des phrases inspirantes provenant d’autres musiciens…).

        Du nouveau matériel, différentes motions, un style de musique découvert depuis peu. Ces choses demandent du temps avant de devenir naturelles, avant d’être « imprimées » en soi. D’un autre côté, des rythmes joués depuis des années, des chansons entendues des milliers de fois, des passes de batterie qui sont devenues naturelles. Ces éléments peuvent être exprimés à l’instant même, et ce, avec l’intention juste. C’est comme ajouter des épices à un met…dans le doute, au lieu de tout gâcher en ajoutant des épices qui ne sont pas appropriées, ou en en mettant trop, il est mieux de cuisiner prudemment et de n’ajouter qu’un peu de sel et de poivre !

      Pour terminer, j’aimerais mentionner que cette conscience du principe « impression/expression » est pour moi d’une grande utilité afin de minimiser le stress qui peut survenir à certaines occasions. Lorsque la tension psychologique et physique est réduite, une profonde appréciation de la créativité, de l’expression de soi peut prendre place. Cette ouverture me permet aussi d’apprécier et de répondre à l’expression de mes collègues musiciens.

      Donnons à la musique le temps et l’approche qu’elle mérite. Elle a tellement de grandes choses à nous révéler, tant sur elle-même que sur nous mêmes.

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Bertil
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